Savez-vous qu’apprendre déclenche un flash de dopamine, un neurotransmetteur qui procure un sentiment de plaisir et de satisfaction ?
Apprendre est un besoin fondamental chez l’être humain, au même titre que manger ou boire. Des chercheurs ont montré qu’un circuit ancien dans l’évolution de notre espèce, le système dopaminergique, oriente notre cerveau vers les phénomènes qui sont à la fois nouveaux et accessibles à la compréhension. Ce circuit émet alors un signal de renforcement (c’est-à-dire un flash de dopamine), qui a un effet assez proche de celui que provoque une drogue.
Les progrès spectaculaires de la science sur l’état de nos connaissances
Depuis quelques années, les formidables progrès de l’imagerie cérébrale ont permis aux chercheurs de faire des progrès dans notre compréhension du fonctionnement des apprentissages. Les scientifiques s’intéressent en particulier à ce qui stimule ou inhibe le cerveau face aux apprentissages.
Sont en particulier explorés le rôle des émotions, de la motivation ou encore de l’anxiété dans les apprentissages.
Grâce à ces recherches, nos connaissances ne se fondent plus seulement sur des méthodes d’observation ou de dialogue avec les sujets étudiés, qui reposaient aussi beaucoup sur nos intuitions. Il est désormais possible d’aller voir concrètement ce qui se passe dans nos cerveaux quand nous apprenons : quelles sont les zones qui sont activées (elles sont différentes selon les types d’apprentissage) ou encore comment le cerveau de l’enfant se modifie avec l’apprentissage du calcul, de la lecture, de la mémorisation.
Dans cet article, je vous explique :
1- En quoi ces travaux déconstruisent des idées très répandues sur l’apprentissage (et ce qu’ils nous enseignent)
2- Les 4 piliers essentiels sur lesquels s’appuie l’apprentissage, que sont l’attention, l’engagement actif, le retour sur erreur et la consolidation.
On a tous entendu des croyances populaires sur l’apprentissage (« tout se joue avant 3 ans », « on n’utilise que 10% de notre cerveau »), sans savoir quel crédit leur apporter.
1- « On apprend mieux lorsqu’on reçoit l’information dans son style d’apprentissage préféré (visuel, auditif, tactile…). »
2- « Le bébé est une ardoise vierge de tout savoir »
3- « L’enfant est une éponge qui absorbe docilement la structure de son environnement »
4- « Le cerveau est un réseau de neurones qui se laisse façonner par ses entrées »
5- « L’apprentissage fonctionne de manière passive, en absorbant les connaissances par simple exposition à des données ou à un cours magistral. »
6- « L’erreur est la marque des mauvais élèves. »
7- « Le sommeil est un moment où notre cerveau s’éteint, « se débranche » pour se reposer. »
8- « Les machines actuelles dépasseront bientôt le cerveau humain ».
Les 4 piliers de l’apprentissage
Au fil de son évolution, notre cerveau s’est doté de quatre fonctions majeures, qui maximisent la vitesse avec laquelle nous parvenons à extraire des informations de notre environnement. Stanislas DEHAENE, un éminent neuropsychologue, les appelle les 4 piliers de l’apprentissage, car chacun d’entre eux est indispensable à nos constructions mentales.
Ces quatre piliers sont :
1- L’ATTENTION, qui amplifie l’information sur laquelle nous nous concentrons;
2- L’ENGAGEMENT ACTIF, ou la curiosité, qui incite notre cerveau à évaluer sans relâche de nouvelles hypothèses;
3- LE RETOUR SUR ERREUR, qui compare nos prédictions avec la réalité et corrige nos modèles du monde;
4- LA CONSOLIDATION, qui automatise et fluidifie ce que nous avons appris, notamment pendant le sommeil.
Ces fonctions ne sont pas uniques à notre espèce, mais nous les exploitons plus efficacement que les autres animaux.
1- L’attention
En sciences cognitives, on appelle « attention » l’ensemble des mécanismes par lesquels notre cerveau sélectionne une information, l’amplifie, la canalise et l’approfondit.
L’attention est la porte d’entrée des apprentissages : aucune information ne sera mémorisée si elle n’a pas été, auparavant, amplifiée par l’attention et la prise de conscience. C’est pourquoi il est nécessaire d’écarter les sources de distraction.
L’attention est indispensable pour plusieurs raisons :
1- L’attention agit comme un filtre pour décider ce qui est important.
Le cerveau est constamment stimulé : les sens de la vue, de l’audition, de l’odorat et du toucher lui transmettent des millions de bits par seconde. Les mécanismes attentionnels fonctionnent comme un gigantesque filtre qui opère un tri sélectif. Le cerveau alloue ainsi des ressources différentes à ces stimulations en fonction de l’importance qu’il décide d’accorder à chacune d’entre elles.
2- L’attention amplifie la compréhension et la mémorisation.
Lorsque nous prêtons attention à un objet et que nous en prenons conscience, se produit une extraordinaire amplification dans notre cerveau. L’attention facilite non seulement la compréhension d’un exercice mais aussi sa mémorisation.
3- L’attention nous permet de développer la concentration ou ce qu’on appelle le contrôle de soi. En grandissant, nous apprenons peu à peu à nous contrôler, c’est-à-dire à privilégier les stratégies appropriées et à inhiber les stratégies inadéquates, en évitant tout distraction.
– Dans la consigne suivante : « Nommez lequel des deux chiffres suivants est le plus grand » :
7 et 9
– Un autre exemple : « Nommez correctement les couleurs des mots de la liste suivante » :
chien maison
bien car
vert bleu
sofa trop
rouge noir
gris blanc
Votre ralentissement dans la seconde moitié de la liste traduit l’entrée de mécanismes attentionnels qui doivent vous aider à inhiber la lecture des mots pour se concentrer sur leur couleur. La lecture étant un processus automatique, deux informations entrent ici en contradiction : la couleur du mot et le mot lui-même. Lorsque ces deux informations sont contradictoires, il vous faut fournir un effort supplémentaire. C’est ce que les psychologues appellent l’attention sélective : elle correspond à la capacité à se centrer sur les éléments pertinents d’une tâche et à en ignorer d’autres.
Ainsi, en classe, l’élève doit non seulement faire abstraction de tous les bruits et des sollicitations environnantes, mais il doit aussi faire le tri entre informations utiles et inutiles au sein même de la même tâche.
4- L’attention nous aide à exercer notre flexibilité mentale, c’est-à-dire notre capacité à déplacer notre centre d’attention d’une source d’information vers une autre en fonction de sa pertinence.
2- L’engagement actif
Notre cerveau dispose de deux modes d’apprentissage :
- un mode actif, dans lequel nous mettons à l’épreuve des hypothèses sur le monde extérieur,
- un mode réceptif, dans lequel nous absorbons ce que d’autres nous transmettent sans l’avoir personnellement vérifié.
C’est le second mode qui, par accumulation culturelle, a permis l’expansion des sociétés humaines depuis 50 000 ans. Mais sans l’esprit critique qui caractérise le premier mode, le second est vulnérable à la propagation de fake news.
Quel que soit le mode actionné, une règle d’or prévaut : un organisme passif n’apprend pas.
Apprendre efficacement, c’est refuser la passivité, s’engager, explorer, générer activement des hypothèses.
Pour apprendre, notre cerveau doit d’abord se former un modèle mental hypothétique du monde extérieur et ensuite seulement, le projeter sur son environnement et le mettre à l’épreuve en comparant ses prédictions avec la réalité sensorielle. Cela implique une posture active, engagée, attentive. La motivation est essentielle : on n’apprend bien que si on a une idée claire du but à atteindre et qu’on adhère pleinement à cet objectif.
Le rôle de la curiosité et de la motivation
L’un des fondements de l’engagement actif, c’est la curiosité, l’envie d’apprendre, la soif de savoir. La curiosité est présente dès le plus jeune âge et fait partie intégrante de notre biologie : elle est un ressort fondamental de notre organisme. On en a parlé plus haut, la découverte d’une information active le circuit de la dopamine (comme la nourriture, la drogue ou le sexe)
La motivation peut être intrinsèque (inhérente à la personne) : c’est celle de l’individu libre qui agit par plaisir. Elle peut être orientée par un besoin d’autonomie, un besoin de compétences, un besoin d’appartenance sociale ou encore un besoin d’estime de soi.
A côté des motivations intrinsèques existent les motivations extrinsèques comme les encouragements, des regards attentifs ou encore des félicitations.
A l’inverse, le stress et l’anxiété bloquent les apprentissages, surtout en mathématiques. Pour lever les blocages, il est important de revenir aux sources de la motivation et d’activer les circuits de la récompense (encouragements, conscience de progresser, même pas à pas).
L’effort joue également un rôle important. Les apprentissages les plus intéressants (lire, faire des mathématiques, joue d’un instrument de musique) exigent des mois ou des années d’apprentissage. C’est pourquoi il est important de faire comprendre aux élèves que les apprentissages passent la plupart du temps par l’effort.
D’autant plus que le cerveau retient mieux les informations qu’il a traitées en profondeur. « Rendre les conditions d’apprentissage plus difficiles, ce qui oblige les étudiants à un surcroit d’engagement et d’effort cognitif, conduit souvent à une meilleure rétention » (Henry Roediger).
3- Le retour sur erreur
Se tromper, c’est déjà apprendre. Chaque erreur est une opportunité d’apprentissage. Il est pratiquement impossible de progresser si l‘on ne commence pas par échouer, à condition de recevoir un signal de feed-back, une rétroaction qui nous indique la bonne voie.
Le fait de recevoir un retour d’information (un feedback) sur les avancées du processus d’apprentissage permet à l’apprenant de se faire une idée précise de là où il en est. Cela l’aide aussi à repérer et corriger ses erreurs.
Un feedback donné par un tiers (un enseignant ou un parent) est souvent déterminant.
Ce retour peut être normatif, c’est-à-dire qu’il peut situer l’élève par rapport à une norme (une moyenne, un avis personnel sur l’objectif qui devrait pouvoir être atteint). Ce type d’évaluation est souvent mal vécu par les élèves, car elle peut être interprétée comme un « manque » (de valeurs, de compétences). Stanislas DEHAENE fustige d’ailleurs la « note » à l’école qui n’est pas suffisamment informative (elle ne permet pas de savoir pourquoi on s’est trompé, ni comment se corriger) et se contente de résumer sans les distinguer, différentes sources d’erreurs.
Le feedback informatif, quant à lui, donne une information plus neutre sur les compétences et la progression. Il consiste à montrer les fautes, les points forts et les points faibles en les listant. Pour les psychologues, ce type de retour est préférable car il donne une idée plus nette de ses compétences et de sa progression. Il permet aussi de mettre en avant les progrès.
Selon la psychologue américaine Elizabeth Gunderson, il est intéressant de valoriser les efforts d’un élève (« tu t’es bien appliqué », « tu as beaucoup travaillé »), plutôt que les qualités (« tu es fort » ou « tu es intelligent »). Dans le premier cas, on valorise un comportement dans lequel l’élève est actif (il dépend de lui de travailler ou de s’appliquer), ce qui l’encourage à s’améliorer, tandis que dans le second cas, les élèves risquent de développer l’idée que leurs talents sont innés. Ces derniers seraient moins enclins à fournir des efforts puisque ceux-ci apparaitraient de toute façon comme peu déterminants.
Le retour d’information peut être donné par un tiers (un parent ou un enseignant), mais il est aussi possible et efficace de s’autoévaluer. Plutôt que de lire et relire une leçon, mieux vaut par exemple noter sur une feuille blanche l’essentiel de ce qu’on a retenu de la leçon. Cet exercice fournit à l’élève une information rapide et précise sur ce qu’il sait déjà et ce qu’il doit encore approfondir.
4- La consolidation
La consolidation est le processus par lequel notre cerveau va intégrer de manière durable des connaissances pour qu’elles deviennent des réflexes automatiques. Prenons un élève en fin de CP : dans un exercice de lecture, il bute encore sur les mots, lit lentement et doit fournir un effort important. Au fil du temps, la consolidation va rendre automatique et inconsciente l’activité de lecture qui, pour l’instant, mobilise toute son attention.
Ce qui est vrai pour la lecture vaut aussi pour tous les autres domaines de l’apprentissage.
Pourquoi ce processus d’automatisation ou de routinisation est-il si important ?
Parce qu’il libère les ressources du cortex. Tant qu’un apprentissage n’est pas automatisé, il absorbe ces ressources et empêche l’enfant de se concentrer sur autre chose. Consolider un apprentissage, c’est rendre les ressources du cerveau disponibles pour autre chose.
La stratégie la plus efficace consiste à distribuer les apprentissages : un peu tous les jours. Par la suite, espacer progressivement les révisions permettra à l’information de s’imprimer définitivement en mémoire.
Enfin, le sommeil joue un rôle essentiel dans la consolidation des apprentissages. Alors que nous pouvons avoir l’impression d’ « éteindre le cerveau » lorsque nous dormons, ce dernier est en réalité hyperactif pendant notre sommeil. Il rejoue en particulier les épisodes clefs de la journée, tandis que les circuits neuronaux activés la veille se remettent en route. Le sommeil profond permet la généralisation et la consolidation des connaissances, le sommeil paradoxal (pendant lequel on rêve) le renforcement des acquis perceptifs et moteurs. Notre cerveau continue ainsi à faire des liens à traduire et enregistrer les apprentissages de la journée sous une forme plus générale et abstraite.
Ce n’est ainsi sans doute pas un hasard si les petits enfants, qui apprennent énormément toute la journée, dorment aussi beaucoup.
Mes sources pour cet article :
Les informations développées dans cet article sont issues en grande partie des formidables travaux de Stanislas DEHAENE, un éminent neuropsychologue, professeur au Collège de France (chaire de psychologie cognitive expérimentale) et qui préside le conseil national de l’Education nationale, un organe scientifique chargé d’éclairer les décisions concernant la pédagogie et l’apprentissage dans l’éducation nationale. Je conseille vivement à tous les parents et enseignants de lire ses travaux, qui sont accessibles (même à ceux qui n’ont pas de connaissances scientifiques pointues). C’est réellement passionnant !